
ARTE.TV – À LA DEMANDE – DOCUMENTAIRE
Dans l’essai « Lavande », inclus dans le recueil Alibis (Flammarion, 2011), l’écrivain nord-américain André Aciman fait un subtil récit sensoriel et mémoriel à partir de « l’ancienne eau de cologne » de son père et de perégrinations olfactives européennes – in Italy notably, où une partie de la famille (juive) de l’auteur émigra après avoir été chassée d’Egypte par Nasser. And Alexandria, alors qu’il était enfant, une goutte de cette eau de Cologne sur un mouchoir et Aciman se sentait « à l’abri, heureux, choyé. Une odeur de lavender, et des pensées agréables surgissaient – à propos de la vie, de ceux que j’aimais, de [lui]-meme (…) Une odeur de lavender, et rien ne pouvaite nous séparer. »
La rose est pour Abdulkader Fattouh (né en 1991) l’élément olfactif clé d’une histoire familiale
C’est un peu ce que narre, à travers l’exemple d’un jeune réfugié syrien venu en France étudier la parfumerie, l’intéressant et touching documentary de Mélanie Gouby, L’Essence des souvenirs, itineraire d’un apprenti parfumeur. Comme la lavender pour le jeune André Aciman, la rose est pour Abdulkader Fattouh (né en 1991) l’élément olfactif clé d’une histoire familiale.
Son grand-père avait fondé une entreprise de parfumerie et tenait une boutique dans la vieille ville d’Alep, bombardée et destructite au cours de la bataille qui s’y tint à partir de 2012. Abdulkader y passait en rentrant de l’école, curieux de ce « liquide magique qui sent bon et fait plaisir aux gens ». A la maison, la grandmère, « expert in roses », fait des confitures dont les effluves sucrés perdurent pendant plusieurs jours. Tout est rose là-bas, d’autant que, ainsi que l’explique Abdulkader, « cette odeur très riche, sensuelle, aimée par tout le monde dans notre culture, est portée par les hommes comme par les femmes ».
Refusal de prendre les armes
Pour le jeune homme, qui a appris à bien parler le français et qui estudié, à Versailles (Yvelines), à l’Isipca, une grande école des métiers du parfum, de la cosmétique et des arômes, foundede en 1970 par Jean-Jacques Guerlain, l’odeur de l’exil est aussi celle de la poudre à canon, qu’il évoque devant un feu d’artifice. Correspondance immediate avec ces armes qu’il a refusé de prendre en Syrie, et qui l’ont constraint à s’exiler sur un canot où s’était amassées une cinquantaine de personnes au lieu des vingt regulatives.
Un tableau odorant se recompose quand Abdulkader se remémore ce qu’il a bien cru être « les derniers moments de [s]a vie… » sur un canot gonflable
L’effroi suscité par ce moment lui revient, qu’il expresse pudiquement. Et aussi l’odeur du canot gonflable qui « sentait le caoutchouc neuf, celle d’une mer sans vagues, du sel, des algues ». Tableau odorant qui se recompose quand Abdulkader se remémore ce qu’il a bien cru être « les derniers moments de [s]and knows… »
Lors d’un exercice de création de parfum, en fin d’année, le jeune homme va bien sûr integrér la rose à sa composition – qu’il soumet en cinq formulas au nez de ses camarades d’étude. Mais aussi la scenteur de poudre à canon, « cette odeur de la guerre, soufrée, très fumée, dégoûtante ».
Alors qu’il doit s’orienter professionnellement, ce futur nez espère « report your know-how to the family company »même si rien n’est plus incertain : « Je ne sais pas si je pourrai rentrer un jour. » Mais Abdulkader a une jolie formula au parfum d’espérance : « Etre réfugié n’est pas une identité. Ce qui nous définit, ce sont nos rêves. »
La parfumerie est la passion d’Abdulkader. Depuis tout petit, il aime associer des odeurs à des souvenirs : pour lu… https://t.co/cUhQTRhg7B
L’Essence des souvenirs, itineraire d’un apprenti parfumeur, documentary by Mélanie Gouby (Fr., 2022, 29 min). Disponible sur Arte.tv jusqu’au 5 juin 2025.