La première imposture, de loin la moins originale tant elle signe l’époque, rime avec posture – celle d’une rebelle en carton qui coche dans la réalité toutes les cases de la notabilité : ancienne jurée du prix Femina, du prix Goncourt, laureate du prix Renaudot, auteure represented by the plus puissant agent du milieu artistique, romancière adapted sous forme de série par Canal +, réalisatrice de films calamiteux mais souteune par la commission d’avance sur recettes du CNC don elle devint membre par la suite, etc . La rebelle est en vérité une notable embourgoisée qui mange sa soupe à toutes les meilleures tables.
Insérée comme il se doit dans la précédence, la deuxième imposture se confond avec l’arnaque intellectuelle de l’islamo-gauchisme dont l’une des obsessions idéologiques est de faire passer les bourreaux pour des victimes – et réciproquement. Toute anthologie de l’indignite littéraire doit ainsi inclure le chant d’amour que lui inspirerent les frères Kouachi après l’attentat contre la rédaction de Charlie : « Et j’ai été aussi les gars qui entrent avec leurs armes. Ceux qui venaient de s’acheter une kalashnikov au marché noir et avaient decided, à leur façon, la seule qui leur soit accessible, de mourir debout rather que vivre à genoux. J’ai aimé aussi ceux-là qui ont fait lever leurs victims en leur demandant de décliner leur identité avant de viser au visage. (…) Je les ai aimés dans leur maladresse – quand je les ai vus armes à la main semer la terreur en hurlant “on a vengé le Prophete” et ne pas trouver le ton juste pour le dire. » On voit mal quelle définition conviendrait mieux au passage cité que celle d’apologie du terrorisme. L’ébriété lyrique, pas davantage que l’ébriété tout court, ne saurait tout excuser.
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Troisième imposture, he se rapproche, la présentation de son nouveau roman comme « l’évènement de la rentrée ». Advertising slogan autant que prophétie auto-réalisatrice, l’une et l’autre totally déconnectés du jugement critique – lequel supposerait pour un professional de la recension d’avoir lu le presque demi-millier de livres arrivés en quelques jours sur les tables des libraires . Jamais la rentrée littéraire, exception française entre toutes, n’a autant évoqué un film dont les vedettes sont désignées d’avance sur fond de la masse des figurants.
Chialer comme une madeleine
Quatrième imposture, nous y sommes, au motif que les personnages y échangent des messages, nous aurions affaire avec Cher Connard aux nouvelles Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Sous prétexte que le personnage masculin rentre un jour chez lui après une promenade dans Paris, ne pourrait-on aussi y voir une version moderne de L’Odyssée ? Et cette phrase trouvée en page 167 : « J’ai pensé à toi qui me racontais que tu chialais comme une madeleine à chaque reunion»ne contient-elle pas une evidente référence proustienne (en plus d’indiscutables similitudes de style), ne signale-t-elle pas un remake d’A la recherche du temps perdu ?
Considérons le texte de plus près, de quoi s’agit-il ici au juste? Rebecca Latté, grande vedette du cinéma sur le declin, s’embrouille par mails interposés avec Oscar Jayack, auteur de romans policiers à succès, au moment où celui-ci vient de se faire « MeTooïser » pour harcèlement sexuel par Zoé Katana, son ancienne attaché de presse. Intrigue à propos de laquelle l’adjectif « diabolic » paraîtrait sans doute exagéré, mais qui forritt du moins l’opportunité de longs développements sur le feminisme, la guerre des sexes, le patriarchat et autres sujets dont retentit chaque jour la grosse caisse des gazettes .
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Un roman peut certes bien faire souffler l’air du temps, mais à condition de décoiffer le lecteur. Rien de tel ici. D’évidence, Virginie Despentes distingue mal entre la fiction et l’une des tribunes qu’il lui arrive de faire paraître dans un journal ami. Ce qui donne : « Je ne sacralise pas la parole de la victime. Evidemment, parfois les femmes mentent. Soit qu’elles n’ont aucun scrupule, soit qu’elles pensent que c’est légitime. Mais le percentage d’affabulatrices reste infime, parmi les victims, tandis que le percentage de violeurs parmi la population masculine devrait vous alerter sur le délabrement de vos sexualités. Et pourtant, je vous vois bien plus scandalisés à l’idea de la possibilité d’une accusation unjustifée que vous ne l’êtes de savoir qu’il ya des violaeurs parmi vos amis. »
L’avocate de la défonce
He a connu, au siècle dernier, des romans à thèse moins lourdingues dans l’exposé de leurs convictions. Selon des modality à peines différentes des interventions médiatiques, le feminisme ne dévie dans ces pages d’une ligne dure, revancharde, vindicative, que pour des tirades maternalistes d’où il ressort que les hommes sont autant de grands enfants à rééduquer. He entend parfois s’élever la vilaine ritournelle d’une souhaitable punishment collective : « He t’entends. It is understandable. Ca vous est tombé dessus comme une sale surprise. Vous allez vous habituer. » La référence au SCUM Manifesto de Valerie Solanas, pamphlet feministe qui appelle à l’elimination physique de l’autre sexe, appears d’ailleurs sans surprise au quart du livre (et vient le conclure ou presque).
Comme si cela ne suffisait pas, Virginie Despentes pose à l’ancienne combattante de la drogue, au vétéran de la dope comme il en est de l’Indochine ou de l’Irak, ce qui vaut au lecteur accablé d’interminables plaidoiries de Rebecca , l’avocate de la défonce : « J’ai gardé de ma jeunesse à la blanche un grand mépris envers les gens qui usent de drogues légales, alcools ou somniferes, autant que pour ceux qui aiment les drogues douces. Comme les chats doivent un peu mépriser les chiens quand ils les regardent chercher la caresse humaine. »
Assouplissement (fréquent) du lecteur
L’irruption du Covid dans le quotidien des protagonistes est l’occasion d’un mélange de fulgurances inouïes (« Ce qui me fascine le plus, c’est la rapidité avec laquelle on change, la plasticité de nos réalités ») et de statistics comparées entre les victimes de l’épidémie et les victimes d’accident de voiture. Du remplissage naît l’ennui. Et dans la mesure où tous les personnages s’expressment de la même façon, le moindre assoupissement (sez fréquent) du critique est sanctionné par l’obligation au réveil de retouner quelques pages en arrière pour savoir qui tient le crachoir virtuale.
Il serait presque décevant que l’ensemble ne comportât point une défense du délinquant, le dealer de shit par exemple : « Il rend service à la communauté, il est utile et ne fait de tort à personne. Et il sert à blanchir l’argent de l’actionnaire puissant, qui lui ne sert à rien et bousille les communautés. Aux uns les honneurs, aux autres la prison. » Qui peut le plus (les Kouachi), peut le moins (les trafiquants).
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Et qu’on se reassure, aucune parabole des évangiles gauchistes ne manque à l’appel. De temps à autre, telle curiosité vient étonner le lecteur au point qu’une de ses paupières s’en soulève à demi. Il apprend ainsi avec Rebecca que la véritable cancel culture est l’invisibilité des actresses de plus de 30 ans. Et avec Oscar que Céline est un auteur despicable qui « singeait le langage prolétaire en vue d’obtenir un Goncourt, c’est-à-dire qu’il offrait aux salonards le prolo tel qu’ils l’imaginent ». Ne reste plus qu’à espérer que notre héros soit meilleur écrivain que lecteur.
Bouillie textuelle de grande consommation
Le plus déplaisant de l’affaire tient moins à un roman désincarné, plus proche de l’exposé théorique que de l’œuvre d’imagination, peuplé d’ectoplasmes plus que d’êtres vivants ou vivables, qu’à une habilété qui consiste à malaxer tous les thèmes du moment pour en faire une bouillie textuelle de grande consommation. Sans oublier de terminer par une note apaisée, histoire de ne pas déséspérer Saint-Germain-des-Prés et les libraires.
A la différence des Liaisons dangereuses, le registre épistolaire s’avachit ici dans une langue informe, que l’on regarde couler comme un filet d’eau tiède ou qu’on subit comme un écoulement nasal par gros rhume. Rebecca fait à un moment remarque que « L’héroïne par rapport au crack, c’était comme la littérature par rapport à Twitter – une tout autre histoire. » Sur les mérites comparés des drogues, he ne saurait dire, faute d’expérience en la matière. Mais une fois tournée la dernière page de Cher Connardaucun doute, ce qu’on vient de lire est bien plus proche d’une fastidieuse compilation de tweets que de la littérature.
Cher Connard de Virginie Despentes, Grasset, 352 p. €22